Société civile togolaise : Entre devoir de vigilance et appel à la responsabilité collective
Alors que le climat sociopolitique togolais traverse une phase de crispation alimentée par une recrudescence de discours polarisants et une multiplication de récits partisans, plusieurs voix du tissu associatif national appellent à un sursaut de lucidité et de responsabilité. À travers une déclaration publique, ces acteurs de la société civile entendent rappeler la vocation première de leur mission : construire, alerter avec rigueur, protéger la paix et œuvrer à un avenir commun fondé sur la vérité.

Cette sortie fait suite au communiqué diffusé le 30 juin dernier par un ensemble d’organisations se réclamant de la société civile, dénonçant des actes de répression étatique à l’encontre de certains citoyens. Pour les auteurs de cette réponse, il est impératif de proposer une lecture plus équilibrée des événements récents, refusant tant la complaisance envers le pouvoir que la légitimation des dérives au nom de la liberté d’expression.
« Nous ne défendons ni un pouvoir ni une position idéologique, mais des principes. La liberté sans responsabilité est une dérive, pas une avancée démocratique », peut-on lire dans leur déclaration.
Liberté, oui… mais dans le respect du cadre républicain
S’ils reconnaissent le droit légitime à la manifestation et à la liberté d’expression, les signataires s’inquiètent de l’oubli délibéré, dans certains discours, des appels à la violence, des insultes publiques et de la subversion manifeste sur les réseaux sociaux. Ils condamnent notamment le silence de certaines organisations face aux propos incendiaires de figures se revendiquant de l’activisme citoyen, qui ont publiquement incité à attaquer des institutions de l’État.
Selon eux, il est « regrettable » que des individus connus pour avoir proféré des propos subversifs soient présentés comme de simples victimes de répression, sans contextualisation ni regard critique. Cette posture affaiblirait la crédibilité de toute dénonciation, en jetant le doute sur l’impartialité de ses auteurs.
Appel à une société civile responsable, lucide et plurielle
La société civile, insistent-ils, ne saurait être l’otage d’une pensée unique. Elle doit rester plurielle, enracinée dans la réalité et fidèle aux principes d’objectivité et de paix. Se laisser instrumentaliser reviendrait à trahir sa mission fondamentale.
« Être du côté des droits, c’est aussi savoir nommer les torts où ils se trouvent. Il ne peut y avoir de justice sélective, ni de complaisance face à la haine », soulignent-ils.
Ils en appellent à une mobilisation citoyenne sincère et pacifique, centrée sur le dialogue, le respect des lois et la défense d’une cohésion nationale déjà fragilisée par des discours clivants.

L’exemple libyen est évoqué comme une mise en garde : les conséquences d’une manipulation des masses, orchestrée avec l’appui de relais internes et d’acteurs extérieurs, ont plongé la Libye dans un chaos durable. « Le Togo ne doit pas suivre cette pente », préviennent-ils.
Rappel des faits : Procureur, justice et régulation médiatique
Dans ce contexte tendu, la déclaration revient sur les dernières interventions officielles, notamment celle du Procureur de la République, lors du journal télévisé du 6 juillet 2025. Ce dernier a fait état de 114 arrestations lors des manifestations de juin, précisant que 87 personnes ont été relaxées, 18 condamnées, et 9 toujours sous enquête. Il a insisté sur la distinction entre les manifestants pacifiques et ceux ayant commis des actes troublant l’ordre public.
Concernant les corps retrouvés dans les lagunes de Lomé, le Procureur a affirmé, expertises médico-légales à l’appui, qu’ils ne sont pas liés aux manifestations. Une enquête judiciaire a cependant été ouverte pour élucider ces décès.
Parallèlement, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) a convoqué plusieurs organes de presse ayant diffusé des informations non vérifiées. Après avoir reconnu leurs manquements, les responsables de ces journaux se sont engagés à respecter à l’avenir les principes d’équilibre et de rigueur.
Intelligence artificielle et désinformation : un défi croissant
Les auteurs du texte alertent également sur l’usage détourné de l’intelligence artificielle, devenue, selon eux, un nouveau vecteur de désinformation. Vidéos truquées, fausses déclarations, images générées : l’ère numérique impose une vigilance accrue. Ils appellent les citoyens à développer une culture de la vérification, et les autorités à renforcer les mécanismes de traçabilité des contenus diffusés en ligne.
Vers un dialogue apaisé et un renforcement du cadre démocratique
Loin d’un discours alarmiste, cette prise de parole se veut une invitation au dialogue et à la concertation. Elle appelle les partis politiques à réinvestir le Cadre Permanent de Dialogue et de Concertation (CPDC), et le gouvernement à intensifier ses actions sociales, notamment en faveur des jeunes, des femmes et des plus vulnérables.
Elle salue également l’engagement des autorités pour la tenue prochaine des élections municipales, dans un souci de renforcement démocratique et de gestion locale participative.
Enfin, les auteurs appellent à ne jamais oublier les lourds précédents que le pays a connus, à l’image des violences de Sokodé en 2017, pour lesquelles des membres des forces de l’ordre avaient été tués de manière barbare. Un rappel solennel de ce que la violence détruit toujours plus qu’elle ne construit.
« Le Togo mérite une société civile qui ne jette pas de l’huile sur le feu, mais qui porte de l’eau pour l’éteindre », conclut la déclaration, citant en guise de sagesse ancestrale : « Lorsque chacun aura apporté son doigt pour boucher le trou de la jarre, l’eau n’y jaillira pas ».
Adjovi TOESSI